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La Champagne juste après la Grande Guerre, dans les maisons et dans le vignoble…

Avec la commémoration du centenaire de l’Armistice, voici un petit focus sur la Champagne et le champagne après la Première Guerre mondiale.  A la fin de la 1ère guerre mondiale, Reims était une ville détruite à environ 60 %, toutefois, aucun obus, aucune bombe, quel qu’en soit le calibre, n’a pu atteindre les caves. Ainsi les stocks, malgré quelques pillages, sont encore importants. Certains vins ont été abîmés par manque de soins, d’autres détruits dans les celliers ou en cours de transport. Les pertes des maisons sont estimées à environ soixante-douze millions de francs (cela représente environ 90/100 millions d’euros si on adapte  relativement le cours de l’époque) dont  pour vingt millions aux immeubles, et vingt millions aux vins, marchandises, matériels et outillage et pour le surplus aux créances sur les pays ennemis et sur la Russie.

« Dans la région de Reims, centre principal de notre commerce d’exportation avant 1914,, en novembre 1918 ce ne sont que ruines, il n’y a plus ni logements ni celliers, une partie des caves est envahie par les eaux, le matériel est dispersé ou disparu, quelques braves rentrent individuellement et n’ont même pas un toit pour s’abriter. Dans la région d’Épernay, les dégâts sont infiniment moins graves, heureusement. Ils ont atteint cependant des proportions sérieuses. commente Bertrand de Mun (président de Veuve-Clicquot) dans le Vigneron champenois de décembre 1920. Pour l’exportation, les bateaux font défaut et la guerre sous-marine désorganise les transports maritimes. Vendre le champagne est  difficile à l’étranger. Les relations commerciales sont bien entendu rompues avec les pays ennemis. La Russie est en révolution, les ventes aux Etats-Unis sont de plus en plus freinées par les ligues antialcooliques et tous les pays en guerre réservent leurs devises à l’achat des produits de première nécessité. Les négociants sont inquiets.  On peut noter que les expéditions se montaient à 26, 5 millions de cols avant la déclaration de la guerre.

L’audace et le sens commercial sont de rigueur pour trouver des débouchés, souvent remis en question par de fortes augmentations du prix de la bouteille de champagne, dues à celles des matières premières. On peut seulement affirmer, c’est que les Allemands ont « réquisitionné » pour employer un terme d’origine militaire,  du champagne chaque fois que les hasards de la guerre le leur ont permis et que… les soldats français et alliés en ont fait tout autant. De toute façon, les quantités de bouteilles disparues lors des batailles de la Marne sont insignifiantes par rapport aux stocks. Il est écrit à ce sujet dans le Vigneron champenois du 21 octobre 1914 : « Il manque à nos caves ce qu’on retrouve de bouteilles sur les champs de bataille de la Marne. Nous avons encore du champagne pour dix mille batailles. »

 

Replanter, reconstruire et racheter
La situation du vignoble est grave. Entre 1914 et 1918, les superficies en production ont diminué de 40 % et il ne reste que 6 000 hectares en rapport, dont 2 650 de vignes greffées, (modeste embryon du futur vignoble reconstitué). Certains grands crus de la Montagne de Reims n’ont sauvé que 20 % de leurs vignes ; à Verzenay, sur 500 hectares, il en reste 75 en exploitation. Les vignes qui ont dû être abandonnées sont bouleversées par les trous d’obus, les tranchées et les abris, sillonnées par les réseaux de fils de fer, infestées par les projectiles non éclatés ; le travail de remise en état est considérable. Celles qui sont restées à l’écart des combats ne sont souvent qu’en demi-production. De plus, le phylloxera a poursuivi son cours destructeur du fait de la guerre, les maladies et parasites étendent leurs ravages, notamment le mildiou, l’oïdium et la pyrale.

Pour les vignerons, Il faut replanter, reconstruire la maison, racheter du mobilier, un cheval, du matériel d’exploitation et… vivre ! Ils manquent cruellement d’argent disponible, car depuis 1910 les récoltes ne leur ont guère rapporté, quand elles n’ont pas été déficitaires en raison de la mévente, ou réduites à zéro du fait de la guerre. Et s’ils entreprennent des plantations, ils savent que ce n’est qu’au bout de quatre à cinq ans qu’ils commenceront à être remboursés des grosses dépenses qu’elles entraînent. En outre, selon une étude parue dans le Vigneron champenois de mars 1935, les frais de culture sont trois ou quatre fois plus élevés que ceux de la vigne en foule. En 1935, ils se situent entre 12 000 et 18 000 francs à l’hectare selon les types d’exploitation. Beaucoup ne subsistent que grâce aux faibles allocations qui leur sont versées par l’Etat, en attendant les dommages de guerre dont le paiement est toujours différé. Ce sont dans ces conditions qu’un grand nombre de vignerons, à peine démobilisés, se mettent à la tâche pour faire disparaître les traces de la guerre et s’emploient, par un travail incessant et plusieurs années d’efforts, à redonner à leur exploitation sa pleine activité.

En janvier 1930  dans le journal Nord-Est, on peut lire le témoignage de l’un de ces vignerons : « C’est une vie nouvelle qui commence. La reconstitution des vignes est évaluée à 25 000 francs à l’hectare, et comme il faut prévoir l’entretien du ménage (10 000 F), les frais matériels (3 000 F), achat et entretien d’un cheval (6 000 F), c’est une somme globale de 50 000 F qu’il faut emprunter. Les années 1920, 1921, 1922 et 1923 passent sans récolte appréciable ; on a dépensé 100 000 F sans rien recevoir, sauf les dommages de guerre en coupons ! Une bonne année se présente en 1924 mais, hélas, le commerce n’achète pas. Achats de fûts, frais de vinification viennent s’ajouter au solde débiteur. Le vin est vendu 6 ou 7 mois plus tard 30 000 F à inscrire aux recettes, près de 110 000 F aux dépenses. »

A ma source d’inspiration, remerciements à l’Union des maisons de champagne