Consultant en stratégie et maître de conférences à Sciences-Po Paris, Martin Cubertafond enseigne la stratégie de l’entreprise et donne, depuis 2006, un cours sur le marché mondial du vin. Il est également l’auteur de Entreprendre dans le vin, publié aux éditions Eyrolles en 2015. Avec son nouvel ouvrage, « Stratégies et Marketing du Champagne, Quelle place pour le champagne sur le marché mondial des vins effervescents » Martin Cubertafond propose une analyse stratégique et marketing complète du marché mondial des vins effervescents.
J’ai réalisé son interview que je présente en deux parties.
Avec des volumes à la baisse pour 2019, mais un chiffre d’affaires qui avoisinerait les cinq milliards, la Champagne doit- elle continuer sur sa politique de valeur ajoutée, soit faire plus avec moins ?
La Champagne est entrée dans une nouvelle ère depuis la crise économique de 2008, qui a marqué la fin de la croissance des volumes : pour la première fois, les ventes de champagne augmentent en valeur alors qu’elles stagnent ou décroissent légèrement en volume. Le champagne n’a pas trop le choix aujourd’hui : avec d’un coté la concurrence des autres effervescents sur l’entrée de gamme et de l’autre l’augmentation du coût du kg de raisin (qui fait qu’il n’y a pas de modèle économique pérenne pour des champagnes vendus à moins de 15€ aux consommateurs), il est destiné à avoir une stratégie de valeur et non de volume. Il doit donc faire plus non pas avec moins, mais avec autant.
Des résultats de groupes en baisse (mais pas tous !) des marchés en berne, (mais pas tous !) des vignerons qui se cherchent (mais pas tous !) , après la chute de 2008-2009, voici donc de nouveau la Champagne en « souffrance », peut-on penser encore à une crise ou alors allons-nous vers une dichotomie du modèle champenois ?
La champagne a connu des cycles de 9-10 ans depuis les années 1970. La dernière crise a eu lieu en 2009. Cela fait donc onze ans et il ne serait pas étonnant qu’un nouveau cycle se profile. La grande nouveauté est que le marché est en train de se séparer en deux sous-segments : d’un coté les champagnes valorisés, avec une forte présence sur les marchés exports, qui sont en croissance, et de l’autre les bouteilles peu valorisées vendues majoritairement en France. Ce segment est en décroissance et le phénomène est accéléré par la loi Egalim qui pénalise les produits dont les ventes reposent beaucoup sur les promotions.
Dans ce contexte, si une crise arrive en champagne, elle risque de ne toucher qu’une partie des acteurs, ceux qui sont dans l’impasse de l’entrée de gamme, sans éléments de différenciation (marque, identité,…) et sur-exposés au marché français (c’est-à-dire y réalisant plus de la moitié de leurs ventes).
Si on imaginait d’autres perspectives, quelle serait pour vous un nouvel ordre qui permettrait au champagne de rester le roi des vins en image et en valeur ?
Vu de l’extérieur, et en comparaison des autres segments du marché du vin, le champagne se porte très bien et sa situation est très enviable ; il reste sans aucun doute le « roi des vins, en image et en valeur ». Ceci est le résultat d’une organisation unique (fondée sur le rôle du CIVC), du travail de premiumisation effectué depuis des années par le leader LVMH, qui tire toute la catégorie vers le haut, ainsi qu’à l’émergence d’une génération de vignerons ultra-qualitatifs, qui redonnent une identité forte aux différents terroirs champenois.
Il est vrai qu’une partie des opérateurs champenois se trouve aujourd’hui dans une impasse (ceux qui vendent des bouteilles peu valorisées principalement sur le marché français). Ils vont devoir changer de mode de fonctionnement dans les années à venir et cela va probablement provoquer une évolution du modèle champenois, car celui qui a permis 30 années de croissance partagée, avec un tiers des bouteilles commercialisées par les vignerons, ne correspond plus à la réalité du marché.
(Demain la suite…)
A demain!