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Emotion et Histoire, j’ai dégusté trois flacons (1888/1897 ?) issus de la cave ensevelie de Pol Roger !

Laurent d’Harcourt, président du directoire, Dominique Petit, ancien chef de caves, Hubert de Billy et Christian de Billy (Famille Pol Roger) et Damien Cambres, chef de caves

Deuxième acte de la fameuse dégustation de Pol Roger. Le premier est à lire ici. C’est donc en présence d’une partie de la » fine fleur » de la dégustation française que s’est déroulée hier l’ouverture (difficile) de trois bouteilles extraites des caves effondrées du champagne Pol Roger au début du siècle dernier. On pouvait ainsi compter sur le duo de choc, Michel Bettane/Thierry Dessauve, Denis Saverot (Revue des vins de France), Jean-François Pécresse (Radio Classique), Jean-François Chaigneau (Figaro vin) Sylvain Outchik (Les Echos Série Limitée, Wine in China…), Orianne Nouailhac (Le Vigneron) ainsi que l’autre duo, plus champenois celui-ci, Sophie Dumay et Xavier Claeys pour France 3 Champagne-Ardenne. Le spectacle peut commencer.

Dans le dédale des caves, on peut apercevoir la fameuse cavité, celle-là même d’où sont sortis les fameux flacons. Puis direction, la salle de dégorgement. Après les mille efforts (voire la vidéo ci-dessous) de l’ouvrier chargé du dégorgement, Françis Mainguet, trois bouteilles sont débouchées pour être dégustées. Si les niveaux des bouteilles sont correctes, les bouchons, profondément enfoncés, ont dû mal à céder. Pour le ressenti et le goût, ceux qui ont  déjà eu la chance d’apprécier de très vieux millésimes de champagne savent de quoi je parle. Tout l’intérêt est lié à l’histoire avec un grand H, l’histoire de la maison, l’histoire de la Champagne voire à l’émotion. Si l’on évoque purement le champagne, c’est tout autre chose. Car la notion même d’effervescence voire d’élaboration a disparu au fil des années, Le temps a fait son œuvre. Ainsi sur les trois flacons, le premier, plutôt bon au nez et en bouche, délivre des notes de vieux ratafia, le second s’en sort également bien, pourrait même laisser penser à un assemblage où l’on retrouve des notes de pinots noirs (mais c’est pas sûr ! ), le troisième est en retrait avec des odeurs de …formol. Les vins sont sur un dégradé de jaune foncé. Et bien sur, l’émotion est là ! On déguste des vins qui ont passé plus de cent ans ensevelis à plus de trente mètres sous terre comme enterrés dans un sarcophage. Et sans nul doute, Dominique Petit, chef de caves et son successeur, Damien Cambre, ont dû ressentir les mêmes impressions qu’Howard Carter découvrant la tombe de Toutânkhamon. Quant à l’histoire, elle est extraordinaire. On pourrait en faire un film !

1, 5 million de bouteilles perdues

Si l’on remonte le temps, Pol Roger se lance dans le négoce du vin de Champagne à peine âgé de 18 ans. Il réalise sa première vente le 2 janvier 1849 puis s’installe à Epernay en 1851. Maurice et Georges succèdent à leur père en 1899 et rien ne les a préparés à la situation à laquelle ils doivent faire face le 23 février 1900, après une période de froid intense et de pluies diluviennes. Une partie des immenses celliers s’est écroulée ainsi que les bâtiments annexes, entraînant dans leur chute les tonneaux pleins, les bouteilles et le matériel qu’ils abritaient. Quand les ouvriers arrivent à leur travail, le désastre était complet. Le sol était affaissé au milieu sur les nouvelles caves, des murs étaient démolis, des murs voisins fortement lézardés, le sol des rues Henri le Large et Godard-Roger crevassé et le terrain dans toute cette partie descendu de plus de 4 mètres. Heureusement, l’accident s’est produit au milieu de la nuit et aucun ouvrier n’est présent sur le chantier. Les pertes sont considérables et s’élèvent à 500 fûts et 1,5 million de bouteilles. Maurice et Georges espèrent pouvoir récupérer des bouteilles en ouvrant un tunnel à travers les caves détruites mais un autre effondrement le 20 mars dans une propriété voisine les contraint à mettre fin aux opérations.

Cent-dix-huit ans plus tard, la maison est en phase d’études préalables à d’éventuels travaux d’agrandissement de son outil de production à Epernay, à l’endroit même où l’effondrement s’est produit en 1900. Profitant de ces études, il est procédé à plusieurs sondages en sous-sol jusqu’à ce que l’un d’eux aboutisse dans le vide…l’exploration de cette cavité laisse apparaître un grand nombre de morceaux de verre cassé mais surtout une bouteille intacte ! Dominique Petit, (chef de caves) et Damien Cambres (directeur de production et futur chef de caves) ne résistent pas à la tentation de faire élargir l’ouverture. Les jours suivants, 6 puis 19 bouteilles sont extraites.

Ces dernières sont dans un excellent état de conservation : le vin est brillant, les niveaux corrects et les bouchons de liège profondément enfoncés. S’il est difficile de deviner le millésime exact (1889 pour les plus anciens à 1898 pour les plus récents), il s’agit de bouteilles encore sur lies qui demanderont à êtres remuées puis dégorgées avant dégustation. Comme d’ordinaire chez Pol Roger, la patience est de mise. Ce sont donc les petits-enfants, et arrière-petits-enfants de Maurice et Georges Pol-Roger qui exaucent leur vœu de retrouver ces bouteilles perdues. Cette découverte est également un magnifique cadeau pour Dominique Petit qui s’apprêtait à partir en retraite.

Suite à la découverte des premières bouteilles le chantier a temporairement été stoppé car la craie était gorgée d’eau. Après une longue période de réflexion pour continuer le chantier dans les meilleures conditions de sécurité les opérations ont redémarré le 10 décembre 2018. Facilité par un début d’hiver sec, ce sont plusieurs dizaines de bouteilles qui ont été retrouvées parmi de nombreux débris de verres durant un mois. A la suite de l’effondrement d’un important morceau de craie dans la galerie le 15 janvier 2019, il a été décidé de mettre à nouveau fin aux recherches…Pour l’instant.

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