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Le « jour d’après » dans le monde du vin d’après Marie Mascré, co-fondatrice de Sowine

Dans le monde du vin, Marie Mascré et l’agence Sowine sont connus et reconnus. Cette Champenoise, originaire de Reims, est consultante en stratégies marketing et communication, une spécialiste des univers champagne, vins et spiritueux. Avec Sylvain Dadé, elle a créé Sowine en 2006. Elle vient de publier une tribune sur le « jour d’après »  Une revue de détail sur ce que l’épidémie a changé pour les marques de vins et de spiritueux : quelles ont été les réactions des consommateurs ? Et quelles initiatives a-t-on vu apparaître sur le marché ? Tour d’horizon et décryptage.

« Crise sanitaire, fermeture des cafés, hôtels, clubs et restaurants, restriction des déplacements des personnes, annulation des festivals et des rassemblements festifs partout dans le monde : autant de lieux et d’occasions de consommation qui sont touchés, avec un impact mécanique sur le secteur des vins et spiritueux.

Le moment est violent, il va le rester plusieurs mois encore, et ce pour l’ensemble des acteurs. L’heure n’est pas à la fête, l’heure n’est pas à la consommation, l’heure n’est pas à la dépense. Certes les Français continuent à consommer de l’alcool, mais moins et moins cher : on parle d’une baisse des ventes de vin de 35% en volume et 50% en valeur, avec des effets encore plus marqués sur certaines catégories, comme les bulles. Et en amont, ce sont les producteurs qui souffrent aussi, puisque leurs expéditions ont drastiquement baissé aussi bien à l’export qu’en France.

La demi-bouteille de champagne de retour

Paradoxalement, on entend aussi un autre discours sur certains marchés et pour certains acteurs : à Londres, le célèbre wine merchant Berry Bros & Rudd a vécu les plus grosses journées de vente en ligne de son histoire lors des premiers jours du confinement, avec 18 000 bouteilles livrées le premier jour et 24.000 bouteilles le deuxième jour. Toujours au Royaume-Uni, le site web du détaillant Majestic a crashé le premier samedi du confinement à cause de la forte demande. Autre exemple en Suisse, où le site drinks.ch a vu une augmentation de 300% de ses commandes en ligne. Aux Etats-Unis, l’application Drizly, qui livre de l’alcool, a vu ses ventes augmenter de 535%. Et certains Etats d’Australie ont mis en place des quotas liés à l’achat d’alcool face à la razzia dans les magasins…

Certains s’inquiéteront d’une consommation excessive en temps de confinement, mais on peut plus simplement imaginer que ces chiffres traduisent en partie la peur d’une rupture d’approvisionnement et une envie de stocker de l’alcool comme on a pu stocker des pâtes. Une étude menée récemment au Royaume-Uni indique que si 20% des personnes interrogées déclarent consommer plus pendant le confinement, un tiers d’entre elles indiquent au contraire avoir profité du confinement pour réduire leur consommation, voire arrêter totalement. Il est intéressant d’ailleurs de constater que ce sont les petits formats qui fonctionnent le mieux : les apéros confinés se font beaucoup à la bière, et la demi-bouteille de champagne ne s’est jamais aussi bien vendue qu’en ce moment !

La solidarité, le maître-mot

Parmi les nouveaux comportements observés depuis le début du confinement, il faut noter les initiatives solidaires qui ont vu le jour. La solidarité, c’est bien le maître-mot en cette période extrêmement compliquée. On peut d’abord souligner l’énorme élan de solidarité des producteurs de spiritueux qui ont fourni de l’alcool pour la fabrication de solutions hydroalcooliques. Cela concerne des groupes, comme LVMH ou Pernod Ricard  mais aussi des maisons comme Lejay Lagoute à Dijon.

La solidarité, c’est aussi celle qui voit le jour au sein des équipes, chez les producteurs par exemple. Une solidarité nécessaire, parce que la vigne continue, elle. La main d’œuvre peut venir à manquer du fait des difficultés à se déplacer, et le travail dans les vignes peut être rendu plus compliqué du fait de l’application des règles sanitaires. Un très bel exemple est celui de la Maison Louis Roederer qui a proposé à ses équipes travaillant habituellement dans les bureaux, sur la base du volontariat, de donner un coup de main dans les vignes quand c’était nécessaire. La vigne continue, et il faut s’en occuper. #lavignecontinue, c’est d’ailleurs le hashtag que les vignerons qui partagent leur quotidien sur les réseaux sociaux sont invités à indiquer. La solidarité s’est aussi traduite par les dons faits par des domaines et maisons aux acteurs locaux de la santés. Parmi eux, la Maison de Champagne Philipponnat, ou Vignobles Gabriel & Co dans le Bordelais, qui ont agi dans ce sens.

De nouvelles opportunités

C’est aussi dans cette capacité à se tourner plus directement vers leurs consommateurs que les marques vont trouver des opportunités demain. La crise sera longue, à date on ne sait pas quand les cafés, les hôtels et les restaurants vont réouvrir ni dans quelles conditions, mais il est primordial que les marques, peu importe leur taille, renforcent leur lien, avec leurs partenaires commerciaux, mais aussi avec leurs consommateurs.

Cela peut passer par de la vente directe – certains l’ont compris depuis longtemps, comme la maison de champagne Boizel qui est historiquement très présente sur la vente directe. Dans les vins et les spiritueux, comme dans d’autres secteurs d’activité, la possibilité qui est donné au consommateur d’acheter son vin en direct ne signifie pas qu’il ne l’achètera plus jamais chez son caviste ou au restaurant par ailleurs, au contraire : avoir le sentiment d’entretenir une relation privilégiée avec une marque, avec un vigneron ou un producteur rend le consommateur encore plus fier de revendiquer cette relation privilégiée, et lui donne encore plus envie d’acheter ce vin là à chaque occasion.

Les réseaux sociaux sont un formidable outil pour développer un lien privilégié entre une marque et ses consommateurs. On a d’autant plus envie de s’intéresser à une marque et à un produit qu’on peut suivre son quotidien et celui de ceux qui le font. C’est cet état d’esprit qui explique aussi le succès des dégustations partagées via les réseaux sociaux, qui se sont multipliées ces dernières semaines. Des Instalives organisés aussi bien par des marques que par des professionnels. Les « instalives » du sommelier Manuel Peyrondet sontsont particulièrement instructifs pour les grands amateurs. Les discussions Krug Connect organisées via Zoom par la Maison Krug permettent aux ambassadeurs Krug dans le monde et aux grands amateurs d’échanger avec les équipes et Olivier Krug.  Et les Instalives des Vins de Provence permettent d’échanger chaque semaine avec des vignerons de Provence via leur compte Instagram. Là aussi on a une vraie opportunité : ces initiatives permettent des rencontres qui n’auraient jamais eu lieu sinon. En tant que marque, c’est une opportunité incroyable d’échanger avec son public. Et en tant que consommateur, les réseaux sociaux et le contexte si particulier donnent une incroyable opportunité d’échanger avec des personnes que vous n’auriez jamais osé imaginer approcher en temps normal.

L’apéro, « un acte de résistance »

Finalement, c’est la convivialité qui est au cœur de tout cela. Cette convivialité qui nous manque à tous, dont nous sommes privés, et qu’on tente de recréer comme on peut, comme en témoigne le succès des apéros confinés. L’apéro confiné est devenu un rendez-vous, un rituel. Certes, l’apéro, moment très français, est peut-être encore plus attendu en ce moment parce qu’il permet d’entrer, après une journée de travail, dans le temps de la détente : pour ceux qui travaillent de chez eux, c’est un moyen de marquer la frontière entre le travail et la vie personnelle. C’est aussi un acte de résistance, quelque part : on nous prive de nos libertés, mais on ne nous privera pas de cette tradition française et de nos moments de convivialité. Il est intéressant de noter d’ailleurs que l’apéro confiné ne s’éternise jamais : ce n’est pas l’ivresse qui est recherchée, mais la convivialité. Et intéressant de remarquer que les discussions d’apéro confiné portent aussi sur la découverte de ce que boivent les uns les autres. Le vin, la bière, les spiritueux permettent cela : partager, raconter une histoire, créer du lien. Et ça fait du bien.

C’est ça qu’il faut retenir pour demain : garder en tête ces notions de solidarité, de responsabilité, d’agilité et de simplicité dans les relations humaines pour réinventer la relation entre le producteur, le distributeur et le consommateur. Avec la notion de convivialité au cœur de tout cela ».

Écoutez le podcast décryptage de Marie Mascré